Pendant le festival culturel de la ville Antwerpen Barok 2018. Rubens inspireert, le M HKA, le Musée d’Art Contemporaine d’Anvers, oppose l’esprit des maîtres du baroque à la vision des grands artistes contemporains. Avec l’exposition Sanguine/Bloedrood, le commissaire d’exposition Luc Tuymans veut surprendre le visiteur en mettant en dialogue des œuvres phares du baroque de Francisco de Zurbarán, Caravaggio et Anthony van Dyck avec des œuvres de maîtres contemporains classiques, comme On Kawara et Edward Kienholz, complétées par de nouvelles œuvres des vedettes contemporaines telles que Zhang Enli, Takashi Murakami, Michaël Borremans, Sigmar Polke et Tobias Rheberger.

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Caravaggio

Michelangelo Merisi, qu’on l’appelait Michelangelo da Caravaggio est né à Milan en 1571. Le village de Caravaggio où il a passé une partie de son enfance et dont ses parents sont originaires se situe en Lombardie, à quelque cinquante kilomètres de Milan. En 1576, sa famille fuit l’épidémie de peste qui sévit à Milan et se réinstalle à Caravaggio. En 1584, à l’âge de 13 ans, il retourne à Milan où il intègre l’atelier du peintre Simone Peterzano comme apprenti. En 1592, il part pour Rome.

Si Rome est une dictature religieuse impitoyable à la fin du XVIe siècle, elle est aussi une ville qui connaît un prodigieux essor culturel. La Contre-Réforme bat son plein et les armes stratégiques engagées dans ce combat sont d’une part la répression et d’autre part la propagande ; inquisition sanglante et beaux-arts.

En janvier 1592, quelques mois avant l’arrivée du Caravage à Rome, le pape Clément VIII accède au pouvoir. Celui-ci intensifie la terreur. Rome devient un sinistre État policier. « Sur le pont Saint-Ange, il y a plus de têtes décapitées empalées sur des pieux que de melons à vendre au marché », disait un dicton populaire de l’époque.

À cette époque, Rome est reconstruite et réaménagée à une échelle inégalée. On y construit de grandes places qu’on relie les unes aux autres, on y érige plus de cinquante églises, plus de soixante palazzi grandioses et plus de vingt villas monumentales.

Rome devient la plus grande fabrique d’images au monde : Hollywood au bord du Tibre. Chaque artiste européen, chaque peintre, chaque sculpteur, chaque architecte avec un brin d’ambition se rend à Rome. La machine de propagande de l’Église a besoin d’art, la ville a besoin d’art, les nouveaux riches et les anciennes fortunes, les nobles, les cardinaux et les banquiers ont tous besoin d’art pour orner leurs palais somptueux et pour épater la galerie.

Au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, la population de Rome a doublé. Les papes financent sa reconstruction en levant des impôts écrasant sur la ruralité environnante, avec pour conséquences des crises agricoles et des famines. Des paysans désespérés et des soldats désœuvrés après de multiples guerres se constituent en bandes organisées et opèrent à travers toute l’Italie. Tout ce petit monde se retrouve dans les rues de Rome : nantis et miséreux, ecclésiastiques et prostituées, artistes et bandits. La vie nocturne y est turbulente. Certains historiens prétendent que l’industrie du sexe était le principal secteur économique et le plus important pourvoyeur d’emplois de la ville.

Tel est le monde dans lequel atterrit le jeune Michelangelo Merisi. Sur ses toiles, il représente quasi exclusivement ses amis et amies, ne pouvant pas se permettre de modèles dans les premières années romaines. Son cercle de proches constitue d’ailleurs sa compagnie nocturne préférée. Bon nombre d’entre eux, y compris le Caravage lui-même, sont souvent arrêtés par la police pour trouble à l’ordre public, outrage, actes de violence et port d’armes illégal.

En dépit de sa réputation de tête brûlée, le virtuose Merisi obtient rapidement les faveurs de protecteurs puissants. À commencer par le cardinal Francesco Del Monte, le représentant à Rome de la famille Medici de Florence et candidat à la papauté à trois reprises. Ensuite, il devient le protégé de Ciriaco Mattei, grand collectionneur d’art et frère du cardinal Girolamo Mattei et puis celui du cardinal Scipion Borghèse, neveu du pape Paul V élu en 1605. Scipion Borghèse a réuni son immense collection dans la Villa Borghèse, qui abrite à ce jour six tableaux majeurs du Caravage.

Le Caravage habite d’abord au Palazzo Madama de Del Monte et plus tard à la Villa Mattei des frères du même nom, des palais gigantesques au cœur de la ville où il dispose de très grands ateliers. La nuit, il s’en va retrouver ses amis dans les tavernes des alentours de la Piazza Navona ou dans les bordels de la Via dei Condotti.

Sa grande percée date de 1600, l’année où les tableaux La Vocation de saint Matthieu et Le Martyre de saint Matthieu (tous deux 1599-1600) réalisés pour l’église Saint-Louis-des-Français, située juste en face du Palazzo Madama où il séjourne, laissent tout le monde bouche bée. Sa première commande « publique » lui vaut donc un succès éclatant. Le scénario se répète l’année suivante lorsque les tableaux La Conversion de saint Paul et Le Crucifiement de saint Pierre (tous deux 1600-1601) entrent à l’église Santa Maria del Popolo, située sur la place du même nom. Dès lors, il devient officiellement egregius in Urbe pictor (le plus éminent peintre de la ville).

Le Caravage est au sommet de sa gloire quand survient un incident fatidique : le soir du 28 mai 1606, au Campo Marzio, le Caravage se mêle à une bagarre et tue Ranuccio Tomassoni d’un coup d’épée. Tomassoni, gardien de l’ordre, spadassin, mais aussi proxénète et chef de bande, n’est pas un inconnu pour le Caravage. Il est l’amant de Fillide Melandroni, la ravissante courtisane et amie du Caravage qu’il a immortalisée en Judith et en Marie Madeleine. D’aucuns prétendent que, jaloux, le Caravage a voulu toucher l’entrejambe de Tomassoni afin de mettre son rival hors jeu. Il blesse Tomassoni à la cuisse, celui-ci s’écroule et se vide de son sang. Lors de cette rixe, le frère de Ranuccio, Giovan Francesco Tomassoni, un militaire, inflige au Caravage une blessure quasi fatale à la tête.

Les amis influents du Caravage l’aident à quitter la ville. Il fuit vers Naples, puis à Malte où il est nommé chevalier de l’Ordre de Malte, mais en est radié peu de temps après s’être à nouveau mêlé à une rixe. Il part pour la Sicile et retourne ensuite à Naples. Entre-temps, il a été condamné à mort par contumace à Rome.

Toujours par l’entremise de ses protecteurs influents, le pape semble finalement disposé à lui accorder la grâce au cours de l’été 1610. Il embarque aussitôt sur une felouque pour se rapprocher de Rome où il n’arrivera cependant jamais. Épuisé, affaibli, il s’effondre sur la plage de Porto Ercole le 18 juillet 1610, et succombe à une combinaison de faiblesse, d’un coup de chaleur et de la malaria.

Texte: Danny Ilegems
Traduction: Isabelle Grynberg